Raoul Giordan est décédé le 18 janvier 2017 à Nice, la ville où il
était né le 22 février 1926. En 1997, Fumetto lui avait
consacré un fumetto dimenticato
dans le cadre d’un article sur « I comics e la fantascienza degli
anni ‘50 »
.
Après avoir été l’auteur de la plus grande série française de SF,
il était tombé dans l’oubli, et n’avait été redécouvert qu’à l’occasion
d’une manifestation organisée par la Maison d’ailleurs (musée de la
science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires),
« Les Mondes d’Artima », exposition au Festival de BD de Sierre
(juin 1990) puis au Château d'Yverdon, en Suisse (du 17 novembre au
9 décembre 1990). Il s'agissait d'un « Hommage aux éditions françaises
Artima, qui créèrent de remarquables magazines de bande dessinée
dans les années 1950 et 1960 ». Auparavant, il y avait eu une très
sérieuse thèse de doctorat soutenue à Bruxelles
.
Puis la revue française Hop ! avait publié en 1982 tout au long de
trois numéros
un grand dossier sur la série « Météor », mais sans pouvoir entrer
en contact avec son créateur, qui avait pris sa retraite en 1974 et,
retiré dans l’anonymat, se consacrait à la peinture. L’exposition
d’Yverdon révéla l’intérêt que l’on portait encore à son œuvre.
Sa notoriété retrouvée, sollicité plus qu’il ne l’avait jamais été
au temps de son travail de dessinateur, il répondit volontiers
aux questions de Guy Lehideux dans les Cahiers de la bande dessinée
en 1990
,
et vit la même année avec un plaisir mêlé d’étonnement les éditions
belges Lefrancq entreprendre la publication d’une intégrale de sa
grande série des « Conquérants de l’espace »
.
En 1993, avec A.-P. Duchâteau au scénario, il reprit même son pinceau
et dessina une dernière histoire de science-fiction, Space Gordon,
un « à la manière de » nostalgique et auto-parodique
.
Louis Cance lui consacra ensuite trois numéros de Hop ! en 1996,
avec interview et bibliographie enfin exhaustive et réédition d’un
récit complet de la série « Tim l’audace », une saga tarzanide
coécrite avec son frère Robert
.
Enfin, de 2004 à 2006, la même revue publia « Guerre climatique »,
un récit complet qui faisait en même temps l’objet d’une mise en
couleurs sur un site internet tout entier consacré à Giordan et
à son œuvre,
http://meteor.proftnj.com, sous la férule du « prof » Joseph
Thonnard
.
L’œuvre de Giordan excéda vite les frontières de la francophonie. Mais c’est seulement en 2005 que l’auteur découvrit que près d’une centaine d’histoires de Météor avaient été traduites et publiées en Allemagne, sans qu’il n’en ait été jamais averti . De même, les huit premiers épisodes avaient été traduits en italien chez Edital dans le magazine Sputnik dès 1959. En ces temps pas si lointains des années 1950-1960, les originaux étaient conservés par les éditeurs, quelquefois perdus ou détruits, et l’auteur devait aller acheter son fascicule chez le marchand de journaux pour en prendre connaissance ! Artisan astreint à un dur labeur, il devait travailler jusqu'à 16 heures par jour pour produire son Météor mensuel, payé à la case, puis aller poster lui-même ses originaux. Aux soucis financiers s'ajoutaient des pressions exercées sur l'éditeur en France par la tristement célèbre Commission de Contrôle des Publications Destinées à la Jeunesse, une censure qui ne disait pas son nom, supprimant en vrac armes à feu, scènes jugées violentes, féminité suggestive et… jusqu’au noir des espaces intersidéraux jugé parfois démoralisant par l’éditeur qui contraignait son auteur pour certaines rééditions à gratter, gratter, gratter encore... C’était l’âge d’or, mais l’expression est surtout rétrospective. Comme cette chronique rendant hommage à un dessinateur obscur et sans grade qui avait pris un beau jour des années 50 des enfants rêveurs par la main pour leur montrer les étoiles.
François Rahier