Serge Gainsbourg

Serge Gainsbourg scénariste de BD

Voici un extrait d'une interview de Serge Gainsbourg réalisée par Philippe Manoeuvre et publiée dans Métal Hurlant 87 qui explique ce qui a amené le chanteur à écrire le scénario d'une BD : "Blackout"

Gainsbourg : "Blackout, ça aurait dû être un film. Seulement voilà... (ici il allume une Gitane et savoure la première bouffée avant de l'abandonner dans un cendrier anonyme). Voilà...

Ma première idée, c'était Isabelle Adjani et Jane Birkin dans les rôles féminins et Dirk Bogarde dans le rôle masculin. Il me reçoit chez lui, à Grasse, très gentleman et là, handicap, il venait de faire " Providence " et il me dit en préambule : " Je vous préviens, si c'est trop noir, je le fais pas ". Tout ça très British, très courtois, mais il refuse le film. Il voulait une comédie. Seconde tentative, je demande à Robert Mitchum, que je vois dans une boîte à Paris, complètement pété. La prise de contact est difficile, il vient d'assommer un photographe... Alors le lendemain, je vais le voir au Raphaël. Je me dis merde, quand même, c'est Mitchum mais je suis Gainsbourg ! Je frappe à sa porte de chambre, qui s'ouvre. Et je suis nez à nez avec sa femme : " I'm sorry, Bob dort... ". J'entrevois un lit à baldaquin d'où s'échappent des ronflements. Le lendemain, déjeuner avec Mitchum. A jeun, grande forme.

Et là, il me dit : " Remember yesterday ? Hé-hé-hé... Vous savez qui vous a ouvert la porte ? " Moi, ben oui, c'est votre femme !

" Hé hé hé, faites un flashback... Elle sortait en peignoir de la salle de bain, true ? " Oui... " Vous avez pas remarqué quand la porte s'est ouverte ? Elle était à six mètres. C'est pas elle qu'a ouvert, c'est moi ! J'étais derrière la porte prêt à casser la gueule au connard qui osait nous disturber ! Quand j'ai vu Gainsbourg, j'ai plongé dans le lit, je me suis mis à ronfler. " (rires)

Je revois Mitchum à Los Angeles. Chapeau de cow-boy, chemise de cow-boy, il venait de Santa Barbara, je le coince au Beverly à onze heures du mat', et il lit mon scénario, puis il le relit à l'envers. Il me dit : " C'est pas du cinéma, c'est du Pinter! Il vous manque deux entractes. Et puis heu... "

Moi j'avais le trac. C'était quand même Mitchum ! Et il ajoute" Vouiii, mais... " Et dans la première version, Jane se faisait violer par des lascars. Et c'est là que Mitchum objectait : " I am a man, I have a gun, je tire ! "

Moi : " Non, parce que vous êtes un lâche ! C'est la destinée, vous l'avez écrit, vous l'avez voulu. "

Mitchum rigole : " Okay, let's do it ". Plus de nouvelles.

Moi je préférais. C'était peut-être Robert Mitchum, mais j'avais pas écrit un film de cow-boy ! Tel n'était pas mon propos.

Je rewrite l'affaire. Avec une fin anti-climax encore plus atroce car RIEN n'arrive.

Et je pense à... Alain Delon, J'avais encore à l'esprit" Rocco et Ses Frères", Delon, avant de lire le script, se fait livrer les bobines de mon film " Je t'Aime, Moi Non Plus ". Silence pendant un mois et puis arrive une lettre autographe de Delon, papier à en-tête Alain Delon, tapée sur machiné IBM italique (j'en ai une mais je prends plutôt le caractère Elite 12, que je trouve plus strict). La lettre dit ceci en substance :

" Cher Serge, je crois que nous évoluons dansdeux univers extrêmement différents, et que nos horizons sont absolument dissemblables. Mais ceci n'est pas nouveau et je le regrette.

Signé Alain.

Donc en substance Dirk Bogarde et Robert Mitchum, deux stars internationales, se penchent sur mon scénario. Alain Delon, lui, refuse de le lire. C'est géant non ?

Ici mon producteur, une espèce de fourgueur d'armes, un type normal quoi, me lâche et se tourne vers, Polanski et De Niro.

Qui arrive chez moi en Land Rover !

Superbe. Je flashe : " De Niro dans mon film, j'accepte

Ça se fait pas. Il avait un engagement avec Scorcese.

N'empêche, un an après, De Niro qui tient à garder un anonymat total sur son identité, revient à Paris et se fait jeter d'une célèbre boîte de nuit, dont je tairai le nom pour pas leur faire de pub.

Il m'appelle. Je lui dis : " C'est simple, dis que t'es un copain, de Gainsbourg ". Il raccroche, va à la porte, se présente comme" Un copain de Gainsbourg " et il rentre !

Il m'a écrit : " Thanks, grâce à vous j'ai ma carte !"

Pendant ce temps, mon producteur se plante avec Polanski qui voulait pour son film de pirates un budget à la Coppola. " Blackout est oublié."

Métal : " Surgit Armand !"

Gainsbourg : " Ah non ! Les timides ne surgissent pas, ils se pointent ! Nuance. Donc Armand se pointe, c'est un petit gars, il voulait illustrer mes chansons. Bon, il avait une belle moto, il était sympa... Moi cossard, je lui jette " Blackout ". Il m'appelle le lendemain, déchaîné, fou de joie. Il veut le faire.

Et voilà. Alors imaginez que Angela est Jane Birkin, que Alice est Isabelle Adjani - je sais pas si elle mérite une bédé mais elle y est ! - et puis le personnage principal, un mec ravagé, cinquante-cinq balais, autant mettre ma gueule ! Et voilà.

Blackout est un projet structuré, avec unité de lieu, d'action et de temps. C'est parti. "

Métal : " Et si ça faisait un film, du coup ? "

Gainsbourg : " Ah, ça relance le propos. Mais les producteurs savent pas lire. J'avais mis une phrase en exergue : " Le sommeil de la raison engendre des monstres ". Ils n'ont pas su lire mon propos, qui tendait vers un film hitchcockien, presque d'horreur. "

Le thème de "Blackout"

A Los Angeles, dans sa villa, durant une panne d'électricité générale, le scénariste Leslie Anderson, sa femme Angela, fille d'un producteur connu, et sa maîtresse Alice, vivent à la lumière des phares d'une Cadillac un drame noir et passionnel ressemblant étrangement au dernier scénario du maître de maison.

L'extrait

Les deux premières planches de Blackout

Autres pages pour Gainsbourg Serge